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I- L’Europe au 15e siècle : textes de référence
II- La conquête de l’Amérique : textes de référence
III- La colonisation de l’Amérique : textes de référence
IV- La colonisation de l’Afrique : textes de
référence
La mondialisation au 21e siècle : textes de référence
Les bases de l’hégémonie européenne occidentale
: l’essor du capitalisme en Europe
Au 15e siècle, les progrès techniques en agriculture et dans les transports sur mer, la croissance de la population, le développement des villes, l’essor de la classe marchande et la formation d’États monarchiques riches et puissants établissent les bases de la suprématie occidentale dans le monde par le développement du capitalisme.
Grâce aux innovations techniques en agriculture, certains paysans des campagnes s’enrichissent (bourgeoisie paysanne) en tirant profit des surplus agricoles qu’ils vendent aux marchands de la ville, tandis que des serfs (type d’esclaves) achètent leur liberté à des seigneurs en manque d’argent.
Plusieurs personnes devenues libres migrent vers les villes autonomes qui se développent par le commerce local, régional, national et même international. Regroupant des hommes d’affaires de toutes sortes (ex : financiers, marchands, banquiers), la bourgeoisie marchande acquiert un pouvoir politique comparable à sa force économique par ses alliances avec des monarques de plus en plus puissants et avides de richesses et de grandeurs.
À l’aube du 16e siècle, les motivations capitalistes commerciales plus importantes avec l’Asie, l’appui financier des grands souverains, les progrès techniques en navigations, l’approbation de l’Église catholique souhaitant évangéliser d’autres peuples et l’afflux de citoyens libres qui désirent partir en mer pour l’aventure (ex : matelots) rendent possibles les grandes explorations et la découverte de l’Amérique en 1492.
Favorisée par les progrès de l’agriculture, la population de l’Europe alors mieux nourrie augmente. Tandis que les seigneurs, grands dépensiers, manquent d’argent, l’accroissement de la production agricole permet à certains paysans d’acheter des terres desquelles ils tirent profit et à des serfs d’obtenir leur liberté moyennant une compensation financière.
Le surplus de la population et l’afflux de citoyens libres sont absorbés par les villes qui se multiplient à partir des 11e et 12e siècles. Ces villes autonomes jouent d’ailleurs un rôle stratégique: les suppléments agricoles de la campagne y sont vendus et consommés. La population croissante stimule également la production et le commerce de biens de consommation. Les villes sont le théâtre d’une reprise commerciale à l’échelle internationale (Europe, Moyen-Orient, Orient et Afrique du Nord).
Au début du Moyen Âge, les capitaines des nefs ou des galères méditerranéennes n’auraient pas pu entreprendre les grandes explorations. Les connaissances, les motivations, les sources de financement et même les hommes d’équipage leur auraient fait défaut.
Au 15e siècle, les Européens raffinent leurs techniques de navigation, souvent héritées des Arabes. La caravelle, la boussole et l’astrolabe sont des exemples d’innovations qui permettent dorénavant aux navigateurs de s’aventurer en haute mer.
Au même moment, les Européens recherchent une route qui leur permettrait de contourner les territoires arabes (Afrique du Nord et Moyen-Orient) pour commercer sans intermédiaires l’or et les épices d’Asie. Rares et vendues très cher en Europe, les épices sont grandement utiles pour l’assaisonnement et la conservation des aliments ainsi que pour la confection de médicaments. L’or, servant entre autres de monnaie, est quant à lui très en demande pour les échanges commerciaux.
Dans le même mouvement de décomposition du système féodal au 15e siècle, de grands monarques rassemblent, conquièrent et tissent par des mariages de vastes et puissants royaumes. Les bourgeois-capitalistes de la classe marchande qui s’enrichissent avec le commerce accumulent des privilèges et des pouvoirs politiques considérables. Ceux-ci s’allient aux souverains de plus en plus puissants qui ne tardent pas à assimiler les intérêts du commerce à ceux de l’État. Tout comme les marchands, les princes, les rois et les reines voient dans les grandes explorations une occasion d’accroître leurs richesses. Ceux-ci fournissent donc le financement nécessaire à la réalisation de ces voyages outre-mer. Également, l’Église catholique influente approuve le projet par désir de convertir les peuples lointains à la chrétienté.
À l’image des récits fabuleux de voyageurs relatant les
richesses et les peuples mystérieux d’Orient, les monarques,
les bourgeois de la classe marchande, les navigateurs, leurs matelots et même
l’Église catholique s’engagent dans les grandes explorations
en mer qui mèneront à la découverte de l’Amérique
en 1492 : Si les (Espagnols) étaient assurés que ces grandes
taches qui paraissent sur le corps de la lune fussent des provinces et des
royaumes, ils voudraient trouver le chemin pour y aller.
( Guez de Balzac)
À partir de la fin du Moyen Age en Europe, la noblesse (les seigneurs, à l’exception des grands rois) est en déclin. Cette classe dépensière encore à la tête de la société médiévale manque d’argent. Elle perd de son influence et ses privilèges au profit des premiers capitalistes (bourgeois) qui s’enrichissent avec la reprise du commerce à la fin du Moyen Âge. Trois siècles plus tard, cette tendance se dévoile clairement avec la Révolution française (1789) menée par les bourgeois pour mettre fin au régime monarchique en France. Sans doute, l’expression l’argent mène le monde prend ainsi ces racines.
Date Explorateur Pays Région explorée Particularité
1487 Bartholomeu Diaz Portugal Sud de l’Afrique Baptise
le cap de ‘’Bonne-Espérance’’
1492 Christophe Colomb
Espagne Antilles et Amérique centrale Certain d’explorer des
îles voisines à l’Inde...Il ne trouva jamais d’or
ni d’épices et il mourut dans l’oubli.
1497 John Cabot Angleterre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse
L’un des découvreurs de l’Amérique du Nord
1497 Vasco de Gamma Portugal Premier à avoir trouvé
la route maritime jusqu’aux Indes.
1499 Amerigo Vespucci Italie Côte de l’Amérique
du sud Un cartographe allemand utilisa son prénom pour désigner
l’Amérique
1500 Pedro Alvarez Cabral Portugal Brésil, Afrique
et Inde Prend possession des côtes du Brésil
1519 Magellan Espagne Parti de Séville avec 265 hommes
dans 5 navires, longe l’Amérique du Sud, débouche sur
un océan aux eaux calmes qu’il nommera ‘’Pacifique’’.
Il fut tué aux Philippines, Sebastien del Cano prit la relève
rentra à Séville avec un bateau et 18 hommes. Ce fut la preuve
que la terre était bien ronde.
1524 Giovanni Da Verrazano France De la Floride à
Terre-Neuve
1534 Jacques Cartier France Fleuve St-Laurent (Québec)
Prit possession du territoire en plantant une croix à Gaspé
SOURCE : http://membres.lycos.fr/bleu/renaissance.htm
L’exploration du continent américain par les Européens a été appelé « découverte ». En réalité, les Amérindiens initialement venus d’Asie ont été les premiers à découvrir ces terres il y a plus de 30 000 ans. De plus, on sait qu’avant la venue de Colomb, des pêcheurs basques longeaient la côte de Terre-Neuve à la recherche de bancs de poissons. L’utilisation du mot « découverte » pour décrire l’arrivée de Colomb en Amérique doit donc être relativisé. En fait, l’existence du continent américain est un fait nouveau surtout du point de vue des Européens de l’époque qui prennent conscience de la présence d’un « nouveau » continent à l’ouest.
Les principales motivations économiques qui ont poussé de nombreux navigateurs européens à prendre à la mer pour « découvrir » de nouveaux territoires sont relativement simples. Les épices en provenance d’Asie sont, à cette époque, une denrée fort recherchée en Europe où elles sont utilisées dans la conservation des aliments et dans la préparation de médicaments. Toutefois, les nombreux intermédiaires dans le commerce des épices rendent les prix exorbitants. La marchandise pouvait aussi bien passer entre les mains de marchands asiatiques, arabes et italiens avant d’arriver à destination. Lorsqu’en 1453 les Turcs s’emparent de Constantinople, une cité importante sur la route terrestre vers l’Asie, les européens sont contraints de rechercher une route maritime menant aux régions productrices d’épices. La découverte de nouvelles voies d’accès au territoire asiatique avait donc une importance économique marquée pour les Européens.
De plus, l’or, essentiel aux échanges, se fait rare en Europe depuis le 14e siècle. On croyait alors pouvoir en trouver en grande quantité en Asie. La grande motivation des Européens étaient donc de trouver une route directe et relativement peu coûteuse vers l’or et les épices de l’Asie. Évidemment, il existe d’autres raisons moins économiques à l’origine des grands projets de découverte de l’époque. L’évangélisation des peuples de la terre est alors perçu comme un devoir par de nombreux Européens. Il s’agit d’une motivation importante particulièrement pour les représentants de l’Église jouissant à l’époque d’une influence certaine sur les politiques des pays.
Au 15e siècle, les conditions techniques sont favorables aux explorations de navigateurs tels que Colomb, Vasco de Gama ou encore Cartier. En effet, la combinaison de plusieurs technologies permet aux Européens d’entreprendre leurs projets d’exploration en mer. Grâce à l’utilisation de gouvernail d’étambot, à l’arrondissement des coques de bateaux et l’emploi de voiles latines, les navires européens seront plus stables en haute mer et plus facile à manœuvrer. L’emploi d’instruments de navigation comme l’astrolabe et la boussole permet de situer assez précisément sa position. Les marins ont donc moins peur de se perdre en haute mer, loin des côtes du continent. Parallèlement, la cartographie se raffine et permet de mieux se représenter le monde connu.
Le Portugal fut le premier État européen a se lancer dans les grands voyages d’exploration. Dès le début du 15e siècle, des expéditions sont mises sur pied et se rendent toujours plus au sud le long de la côte ouest de l’Afrique. En 1497-1498, Vasco de Gama contourne l’Afrique par le sud et rejoint l’Asie. La découverte de se nouvelle route maritime vers l’Asie permettra au Portugal de contrôler le commerce des épices pendant le 16e siècle. C’est en cherchant une autre voie vers l’Asie que Colomb « découvrira » accidentellement un continent alors inconnu des Européens.
On estime qu’en 1492 la population du monde pouvait se chiffrer autour de 400 millions d’habitants, dont 80 correspondraient aux Amériques; 50 ans plus tard, il ne restait à peine que 10 millions d’habitants sur le nouveau continent. 25 ans après le débarquement des Espagnols à Haïti, les colons durent importer des esclaves indiens de la Floride : du million d’habitants qu’ils avaient trouvé à leur arrivée, il n’en restait que cent mille. La population du Mexique passa en un siècle de 25 millions à 1 million d’autochtones. Il s’agit d’une diminution de l’ordre de 90 %, c’est-à-dire de 70 millions d’êtres humains. Or, aujourd’hui, nous nous offusquons d’entendre parler un amérindien de génocide. Pourtant, aucun massacre du XXe siècle ne peut se comparer à cette hécatombe.
Source : Claude Lacaille
En 1503, le premier chargement d’or vers l’Espagne vient des Antilles; en 1521, s’accélère le pillage du trésor des Aztèques du Mexique; en 1533, de celui des Incas du Pérou. Pas moins de dix-huit mille tonnes d’argent et deux cents tonnes d’or sont transférées d’Amérique en Espagne entre 1521 et 1660. Christophe Colomb disait : « L’or est la meilleure chose au monde, il peut même envoyer les âmes au paradis. »
En un peu plus d’un siècle, la population amérindienne est réduite de 90% au Mexique et de 95% au Pérou. Dans les Antilles, c’est encore pire. Environ trois millions d’indigènes disparaissent dans les îles, massacrés dans la guerre, envoyés comme esclaves en Espagne ou épuisés dans les mines ou par d’autres travaux imposés par les Européens. Pour l’Espagne, l’extraction des métaux précieux d’Amérique constituent au 16e siècle d’importantes sources de richesses, puisqu’il lui revient automatiquement le cinquième de la production minière. Le roi rembourse ainsi ses énormes emprunts aux marchands et finance ses guerres. Il achète aux marchands (souvent eux-mêmes des conquistadores) les métaux précieux d’Amérique.
La conquête de l’Amérique n’a rien d’une simple promenade pour les envahisseurs européens. Il y a des mésaventures, et ce dès les débuts lorsque les trente-neuf colons que Christophe Colomb laissent sur l’île d’Hispaniola (Haïti) au cours de son premier voyage son massacrés par les indigènes en révolte. Peu de temps après son arrivée à Tenochtitlan (Mexico), le conquérant Hernan Cortès frôle un piège mortel que lui avait tendu les Aztèques et doit précipitamment abandonner la ville avant de la vaincre définitivement après 2 ans, dont une année de siège. En 1527, l’explorateur Narvaez disparaît étrangement en Floride. Trois ans après la chute de l’Empire Inca en 1533, la résistance inca entreprend la reconquête de son empire et réussit presque en 1536. Cette résistance survie jusqu’en 1572 dans les régions éloignées des Andes. Entre temps, les Incas assimilent l’art de la cavallerie et de l’artillerie, mais il est déjà trop tard pour reprendre le contrôle de leur empire.
Avec la « découverte » de l’Amérique par les Européens à la fin du 15e siècle et au début du 16e siècle, une immense chasse aux richesses, pillage et commerce, s’ouvre. Dans un premier temps, les Européens assoiffés d’or s’imposent en conquérants face différentes populations amérindiennes qui y résident depuis plus de 30 000 ans. L’expansion européenne s’effectue en moins de 50 ans, d’abord aux Antilles dans les Caraïbes, puis sur presque tout le continent (à l’exception des zones à climat plus hostile comme l’Amazonie). À leur arrivée, les célèbres Conquistadores tels que Cortès et Pizarro découvrent l’existence de civilisations amérindiennes très développées et organisées : des croyances religieuses, une société, une écriture et des connaissances qui leur sont propres. Malgré quelques résistances, les envahisseurs espagnols militairement mieux préparés et convaincus de leur but répandent la mort par les guerres et les épidémies dans les communautés autochtones. Déchirées, ces dernières sont alors soumises à l’exploitation. Au bilan, quelques centaines de tonnes de pierres et de métaux précieux sont rapportées en Espagne pour le remboursement des expéditions (souverains et marchands) tandis que la population amérindiennes chute de façon drastique.
Sur la route de Colomb, pendant plus de 400 cents ans, d’innombrables bateaux négriers parcourent l’infernal triangle du commerce international. Partis de Saint-Malo, de Cadix, de Lisbonne ou de Liverpool en Europe, les trafiquants mettaient le cap sur les côtes africaines, emportant les produits européens les plus divers : eau-de-vie, armes, poudre et balles, petits objets tels que ciseaux, couteaux, poignards, pains de savon, tabac, ainsi que de la toile, du linge, des souliers, et enfin des clinquants et des camelotes de toutes sortes.
Arrivés aux comptoirs de traite en Afrique, ils achetaient à des négriers blancs ou africains un chargement complet d’esclaves qui avaient été capturés et entraînés dans les chaînes jusque dans les baraquements de la côte. La forêt équatoriale retentissait des gémissements des captifs. Jamais plus, ils et elles ne reverraient la terre de leurs ancêtres! Les bateaux les échangeaient, selon des barèmes préétablis, contre les objets qu’ils transportaient. Puis commençait l’horrible traversée, durant laquelle les esclaves étaient parqués sur le dos, enchaînés entre plusieurs ponts fermés à la lumière du jour.
C’est ainsi que durant plus de quatre siècles, la traite des Noirs amena en Haïti et dans toutes les Amériques des paysans et des paysannes des côte de l’Afrique et de l’Océan Indien, du Soudan, du Dahomey, de la Guinée, de Madagascar; que des gens de toutes les ethnies, Fonges, Mandingues, Ouolofs, Bambaras, Toucouleurs, Congos, Aradas, Peuls, etc. Furent déversés sur les nouvelles terres, marqués préalablement du fer rouge aux initiales du bâtiment. Puis, au moment de l’achat, l’acquéreur saisissait sa chose par l’oreille et la reconduisait chez lui comme une bête de somme. L’esclave était de nouveau marqué au fer du nom et domicile de son propriétaire, après avoir été baptisé. Car la justification morale de la traite était que ces Noirs vivaient en Afrique sous l’emprise du démon. Or, en servant leur maître terrestre comme on doit servir Dieu, ils allaient recevoir la récompense éternelle. Car « chacun ne peut se sanctifier qu’en remplissant les devoirs de son état dans la condition et la situation où la Providence l’a placé». (MÉTRAUX, Alfred. Le vaudou haïtien, Paris, Gallimard, Coll.TEL, 1958, p.27.) L’esclavage de l’âme est bien pire que l’esclavage du corps!
C’est pourquoi la cour aussi bien que le clergé considéraient l’attitude du je ne servirai point comme un geste satanique de révolte contre Dieu. La religion, argumentaient les prêtres auprès des colons, est le meilleur moyen d’empêcher la fuite, les empoisonnements et l’avortement. C’était, à les entendre, l’unique frein capable de contenir les désirs d’émancipation.
Saint-Domingue n’était pas le Pérou, et même si la première génération amérindienne disparut dans les mines, la vocation de l’île fut très vite orientée vers la production du sucre. Voici comment Eduardo Galeano décrit l’épopée du Roi-Sucre : « La canne à sucre était cultivée en petites quantités en Sicile, aux îles Madères et au Cap-Vert, et le sucre s’achevait à prix d’or en Orient; c’était un article si envié par les Européens qu’il en arriva à faire partie de la dot dans les trousseaux des reines. On le vendait au gramme en pharmacie. Pendant quelque trois siècle après 1492, il n’y eut pas, pour le commerce européen , de produit agricole plus important que la canne à sucre. » Les Antilles seront surnommées à juste titre les îles du sucre. Pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle, « le meilleur sucre du monde sortait du sol spongieux de la côte d’Haïti : le nord et l’ouest d’Haïti devinrent des déversoirs d’esclaves ». (MIRES, Fernando. La Colonizacion de las Almas Mision y conquista en Hispanoamérica, Costa Rica, Ed. DEI.) En 1786 seulement, 27 000 esclaves arrivèrent à la colonie et 40 000, l’année suivante.
Après avoir livré sa marchandise humaine, la capitaine chargeait son bâtiment de produits du Nouveau Monde : il regagnait l’Europe avec du sucre, de l’indigo, du café, du coton, du blé, sans compter évidemment l’or et l’argent. Ainsi se bouclait un premier cycle de l’accumulation du profit, et ce manège continua de tourner jusqu’à nos jours. C’est l’unique modèle de soi-disant développement qui a été imposé par les empires successifs.
Voilà tracé à grands traits ce qu’on pourrait appeler la genèse non seulement du peuple haïtien, mais de tout le peuple des Amériques; nous y découvrons le péché originel de notre société capitaliste, c’est-à-dire l’appropriation violente de la terre et des personnes du Nouveau Monde pour le progrès industriel des empires européens d’abord, puis nord-Américains ensuite. Pour construire cette tour de Babel, il a fallu éliminer la population des Amériques, vider l’Afrique de sa paysannerie et masser les paysans et les paysannes d’Europe dans les manufactures des grandes villes dans des conditions sordides. Voilà la triste trinité des maudits de la terre américaine : l’esclave, l’indien et le prolétaire des villes et des campagnes.
C’est avec une obstination impressionnante que les peuples autochtones et Africains (esclaves) d’Amérique ont résisté à l’invasion européenne du territoire ainsi qu’à leur asservissement au moment de la conquête et de la colonisation.
La première forme de résistance fut farouche et primaire : durant le transport de l’Afrique vers l’Amérique, plusieurs esclaves se jetaient à la mer, et des mères préféraient jeter leur enfant par-dessus bord plutôt que de le voir souffrir. Une fois vendus en Amérique, la dépression et le désir de vengeance amenaient les esclaves à se pendre ou à absorber des poisons, à faire avorter leurs femmes enceintes, à s’asphyxier en avalant leur langue, à manger de la terre… Il se produisait parfois des suicides collectifs d’esclaves noirs, les victimes croyant pouvoir ressusciter corps et âme en Afrique : c’était la fuite dans l’éternité. D’autres esclaves fuyaient vers les montagnes et se réunissaient par petits groupes pour réaliser des razzias nocturnes dans les plantations isolées. C’étaient ceux que l’on appelait les « nègres marrons », que l’on chassait avec des chiens féroces spécialement entraînés à Cuba qu’on exportait ensuite vers les États-Unis. Colomb lui-même fut aux prises avec le problème du marronage dès 1493 : les Indiens se révoltaient et fuyaient dans les hauteurs. Il ordonna de leur couper le nez et les oreilles.
Triples damnations, me voilà perdu ! Nous sommes cernés par
les navires des autorités coloniales. Je suis ruiné ! Depuis
que les Anglais ont aboli la traite d’esclaves dans leurs colonies,
les autres États n’ont eu de cesse de limiter ce commerce, et
finalement de le rendre illégal. Il n’y a plus d’issue,
je ne pourrai plus m’enrichir en transportant les esclaves dans mon
navire spécialement conçu pour restreindre les prisonniers.
C’est pourtant grâce aux commerçants tels que moi que des
bourgeois européens actionnaires de compagnies marchandes ont amassé
des fortunes impressionnantes au cours des dernières décennies.
Et maintenant ils voudraient que je renonce à mon gagne-pain ! Impensable
! Mon rôle dans le commerce d’esclaves n’est d’ailleurs
pas si important. Ce n’est tout de même pas moi qui organise les
razzias dans les villages africains à la recherche d’esclaves.
Moi, je ne fais que payer les esclavagistes africains qui conduisent la «
marchandise » jusqu’à la côte. Ce sont les chasseurs
d’esclaves qu’il faut blâmer, pas les « pauvres »
transporteurs comme moi. Les trafiquants d’esclaves se présentent
à moi et m’offrent leurs « marchandises ». J’inspecte
alors les esclaves, je choisis ceux et celles qui sont en santé et
qui peuvent survivre à la traversée de l’océan
Atlantique puis, je les achète. J’ordonne à mes employés
de marquer mes esclaves au fer rouge pour identifier clairement mes biens
et je remplis mon navire avant de partir pour l’Amérique. Il
faut évidemment enchaîner les esclaves dans la cale du bateau
dans un espace très réduit afin de maximiser les profits du
voyage. Les chaînes peuvent paraître excessives aux yeux des bourgeoises
de salons européens, mais elles sont essentielles au maintien de l’ordre
sur le navire. Plus d’un équipage fut éliminé par
une mutinerie d’esclaves mécontents et désespérés
de voir la côte de leur terre natale s’éloigner à
mesure que le navire prenait le large. J’ai déjà vu certains
d’entre eux se lancer vers une mort certaine en plongeant volontairement
du pont alors que la côte africaine avait disparu de l’horizon
depuis plusieurs jours. D’autres trouveront la mort dans les cales infestées
et surpeuplées des navires où les maladies se propagent à
une vitesse considérable. D’autres encore survivront à
la traversée et me seront achetés par des planteurs américains
ou portugais au Brésil. C’est de cette façon que j’ai
bâti ma fortune et peu m’importe à moi que les bourgeois
d’Europe se scandalisent devant mon commerce. Ils peuvent bien me tenir
en aversion aujourd’hui, beaucoup d’entre eux ont pourtant financé
mes premières expéditions. À cette époque, ils
se sont bien gardés de cracher sur les revenus que je rapportais dans
leurs coffres. Mon navire coule, les colonies achètent de moins en
moins d’esclaves et les politiciens abolissent la traite des Noirs.
Les affaires vont mal ! Si les choses continuent ainsi, les politiciens rendront
bientôt la liberté aux esclaves dans leurs colonies ! Impensable
!
La traite d’esclaves africains pour les besoins coloniaux s’est surtout développée du XVIe au XIXe siècle sur la Côte occidentale par les trafiquants européens. Elle avait pour but de fournir aux colonies à cultures, en Amérique et aux Indes, des ouvriers capables de travailler sous un climat chaud dans les plantations de cannes à sucre, de riz, de café et de coton. Dès 1792, une partie de la population européenne commença à s’opposer à la traite d’esclaves. C’est l’Angleterre qui la première s’engagea sur cette voie. Pourtant, les débats furent très longs et les intérêts furent vigoureusement défendus. Pendant plus de vingt ans, l’Angleterre tergiversa entre les intérêts commerciaux et maritimes et la fin d’une pratique jugée inhumaine et cruelle. L’abolition officielle de la traite par une loi qui interdisait aux sujets anglais de participer au commerce des Noirs eut lieu en 1807. Dès lors, la Grande-Bretagne deviendra l’une des puissances les plus engagées dans la promotion de l’abolition de l’esclavage. En effet, elle venait de rejeter un élément important de sa fortune publique. L’apport de l’esclavage à l’économie nationale n’avait plus l’importance des siècles précédents en raison de l’avènement de l’industrialisation, mais le commerce d’esclaves avait néanmoins une influence certaine. La Grande-Bretagne n’avait aucune envie de voir les puissances rivales tirer profit d’un marché dont elle s’était retirée et elle tint un rôle important dans l’adoption universelle de cette mesure. Elle poursuivit avec ferveur ce but politique qui devint bientôt le caractère principal de sa diplomatie. Les autres États réglèrent progressivement le pas sur celui de l’Angleterre. Les États-Unis, le Danemark, les Pays-Bas et le Portugal se plièrent puis, après une certaine résistance, la France et l’Espagne consentirent à restreindre et finalement, à éliminer le commerce d’esclaves. La traite d’esclaves était devenue infâme, mais l’insuffisance des mesures répressives et l’attrait des bénéfices permirent à plusieurs commerçants de maintenir cette dernière durant plusieurs années. En 1833, le gouvernement anglais libéra les esclaves de ces colonies, la France le fit en 1848 et la question jeta les États-Unis dans une guerre fratricide qui opposa le Nord et le Sud en 1865. Partout, l’esclavage colonial disparaissait progressivement. Toutefois, les puissances occidentales auraient bien aimé faire cesser également le commerce d’esclaves parmi les populations musulmanes de l’Asie et de l’Afrique. La croisade initiée par l’Europe pour libérer l’Afrique de l’esclavagisme fut le second pas vers l’invasion du continent africain. Le monde « civilisé » allait encore une fois prétexter une cause morale pour marcher sur un territoire « barbare ». (L’Évangélisation des populations autochtones fut l’une des raisons avancées par les Européens pour s’imposer en Amérique).
Conséquences démographiques
Nous ignorons actuellement dans quelle mesure la traite d’esclaves a
affecté l’histoire de l’Afrique. Le nombre exact de décès
liés à la chasse à l’homme et les déportations
d’esclaves vers d’autres continents privant l’Afrique de
sa population reste très difficile à évaluer. Il est
néanmoins évident que le trafic d’esclaves a provoqué
un déclin de la population dans plusieurs régions africaines
et qu’elle a gravement retardé la croissance démographique
dans d’autres régions. Évidemment, la traite d’esclaves
n’est pas le seul phénomène lié à l’expansion
européenne en Afrique qui eut une influence démographique sur
le continent. On considère par exemple que l’introduction de
nouvelles cultures en Afrique eut un effet positif sur le développement
démographique alors que l’exposition de la population locale
à de nouvelles maladies influença négativement cette
dernière.
Conséquences politiques
La plus grosse part du trafic d’esclaves fut assuré par les habitants
des plus grands royaumes africains aux dépens des peuples sans État.
La conséquence politique la plus importante fut la fusion du pouvoir
politique au pouvoir commercial. Soit les souverains prirent le contrôle
de la traite, soit les trafiquants gagnèrent de l’influence politique.
L’importation d’armes à feu en Afrique occidentale permit
à des petites minorités bien armées de dominer des populations
importantes. La traite jetait dans la guerre les peuples les mieux organisés
et précipitait dans la fuite les communautés les plus faibles.
Conséquences économiques
Malgré le fait que la traite d’esclaves croissait encore plus
rapidement que le commerce international pris dans son ensemble, son impact
économique sur l’Afrique ne stimula guère de changement
important. L’Afrique occidentale commerça avec le monde atlantique
pendant plus de trois siècles sans connaître d’évolution
économique d’importance. Rien dans le commerce atlantique ne
provoqua de changement majeur dans le domaine industriel ni dans l’amélioration
du système des transports. Certains considèrent même que
l’un des effets de la traite fut de retarder la production de marchandises
de base en Afrique. Avec l’abolition de l’esclavage, l’ouest
du continent africain prit un rôle particulier dans l’économie
mondiale, celui de fournisseur de produits agricoles et de matières
premières. On affecta alors les esclaves non vendus à la production
de produits d’exportation comme l’arachide ou l’huile de
palme.
En Europe
Pendant plusieurs siècles, le commerce d’esclaves permit une
importante accumulation de richesses en Europe où l’on contrôlait
la traite domestique et la traite industrielle. La sphère commerciale
européenne va autofinancer ses entreprises et créer diverses
industries de transformation grâce aux profits générés
par la traite d’esclaves. L’essor de ses industries marquera d’ailleurs
l’origine de l’industrialisation en Europe. L’Afrique aura
donc participé malgré elle au décollage économique
de l’Europe et continuera de jouer un rôle semblable durant la
période coloniale ou néo-coloniale. La force de travail des
Noirs et l’exportation de matières premières d’Afrique
vont littéralement propulser l’économie des pays d’Europe
et d’Amérique.
Vers 1870, la présence européenne est encore marginale en territoire africain. En moins de trente ans, l’Afrique passe aux mains des puissances coloniales qui se disputent ses terres. Au début du XXe siècle, la quasi-totalité de l’Afrique sera occupée et dominée. Généralement, l’Afrique intéresse peu la population européenne, mais une poignée de missionnaires, de militaires et de commerçants de grands ports obligent les États, par leurs actions, à se pencher sur la question du partage du continent. La découverte de diamants en 1867 et d’or en 1881 excite la convoitise de bien des commerçants qui y voient l’opportunité d’amasser des fortunes colossales. Avec la montée de la concurrence et du protectionnisme qui accompagnent l’industrialisation, les puissances de ce monde cherchent à se réserver en Afrique et ailleurs, des sources d’approvisionnement en matières premières et des débouchés pour leurs produits manufacturés. Les explorateurs européens, soutenus par l’opinion publique, s’embarquent avec le vœu pieux de « civiliser l’Afrique ». Au passage, ils préparent évidemment le terrain pour la formation de vastes propriétés en signant des traités de protectorat avec les peuples qu’ils rencontrent ou simplement en les soumettant par la force. Lorsque les ambitions des différentes nations européennes lancées dans cette course au clocher générèrent des accrochages, on organisa une conférence pour établir les règles du partage de l’Afrique afin de minimiser la possibilité de conflit entre puissances coloniales. La conférence de Berlin de 1884-1885 regroupera les représentants de quatorze États ayant un intérêt variable pour les terres africaines. Bien que la consécration du partage ne soit pas l’objectif de cette rencontre, l’exigence de l’occupation effective d’un territoire imposée à l’issue de la conférence aura pour effet de précipiter la colonisation des territoires africains. Il ne suffit plus de planter un drapeau ou de signer un traité avec un chef local pour être considéré comme puissances influentes sur une zone territoriale, il faut dorénavant y maintenir une autorité suffisante. Des troupes peu nombreuses, mais équipées d’armes modernes se lancent vers l’intérieur du continent, drapeau en mains. Les chocs se multiplieront entre les expéditions concurrentes, mais aussi avec les peuples africains. Le monde « civilisé » allait encore une fois prétexter une cause morale pour marcher sur un territoire « barbare ».
Course au clocher :
La course au clocher est une traduction du terme anglais « Steeple-chase
». Il s’agit d’un type de course de chevaux qui était
pratiquée en Angleterre par des cavaliers téméraires.
Elle consistait à arriver le premier au pied d’un clocher désigné
préalablement, et ce, en empruntant n’importe quel chemin et
n’importe quel type de terrain. Certains observateurs à l’époque
du partage de l’Afrique ont souligné la similitude entre la course
ludique du « Steeple-chase » et les circonstances entourant l’exploration
et la colonisation de l’Afrique. C’était, semble-t-il,
à qui arriverait le premier à hisser son pavillon dans une région
ou l’autre du continent africain.
La plus grande partie de la conquête européenne en Afrique fut réalisée par nous, les mercenaires africains. Les armées coloniales se composent essentiellement d’Africains délibérément recrutés pour conquérir les territoires pour le compte des pays d’Europe. Il n’y a sensiblement que les officiers militaires qui viennent d’Europe. Le gros des forces armées est recruté parmi les peuples déjà sous l’autorité coloniale ou encore parmi les populations avec lesquelles les nations impérialistes ont signé des traités. Il faut bien gagner sa vie, vous savez.
De plus, mon peuple s’allia aux Blancs parce que ceux-ci ont promis de nous protéger des nations voisines qui s’attaquaient fréquemment à mon village. Les Blancs possèdent des armes qui nous ont permis de surpasser nos ennemis. J’ignore si cette alliance est vraiment bénéfique pour nous. Je crois en fin de compte que les Européens profitent de l’instabilité politique de nombreux royaumes africains pour annexer des territoires. Finalement, les querelles entre les États africains servent plutôt bien les intérêts des impérialistes. Ces conflits représentent à leurs yeux un bon prétexte pour influencer la politique des États africains.
J’ai été témoin des méthodes utilisées par les Européens. D’abord, ils négocient avec les dirigeants africains afin que ceux-ci acceptent la domination européenne. Ils appuient un chef dans une querelle quelconque contre un voisin puis s’il devient trop dangereux, ils le remplacent en soutenant un nouveau prétendant au pouvoir. À ce jour, les Européens ont annexé une large part du continent africain et si la situation se prolonge au rythme actuel, l’Afrique entière sera sous domination dans quelques années.
Pourtant, de nombreuses initiatives de résistance ont émergé des populations africaines un peu partout sur le continent. Devant l’installation du système colonial, la résistance prend plusieurs formes. Certaines communautés choisissent la fuite et l’exil alors que d’autres optent pour le soulèvement armé. C’est généralement dans ce dernier cas qu’on fait appel à moi et à mes semblables.
La génération de 1880-1914 a été le témoin d’un des bouleversements historiques parmi les plus importants des temps modernes. En effet, c’est durant cette période que l’Afrique fut partagée, conquise et effectivement occupée par les nations impérialistes d’Europe. Avec une rapidité sans précédent, les nations occidentales occupèrent un continent vaste et largement inconnu au niveau géographique. Comment expliquer un pareil phénomène ? Pourquoi l’Afrique a-t-elle été partagée politiquement et occupée précisément à ce moment-là ?
La réponse à cette question n’est pas simple et il existe
plusieurs théories pour expliquer ce bouleversement dans l’histoire
africaine.
Théorie économique
Certains avancent que la surproduction, l’accumulation de capitaux,
la pénurie de matières premières et la sous-consommation
des pays industrialisés les ont amenés à placer une partie
importante de leurs ressources économiques en dehors de leurs marchés
habituels et à appliquer activement une stratégie d’expansion
politique visant à s’emparer de nouveaux territoires. Le besoin
de nouveaux débouchés pour écouler la surproduction des
pays industrialisés et la nécessité de trouver de nouveaux
marchés d’approvisionnement en matières premières
auraient poussé ceux-ci à la conquête militaire du territoire
africain.
Théorie psychologique
La conquête de l’Afrique fut justifiée à l’époque
par l’idéologie populaire qui avance l’idée que
les nations européennes étaient supérieures aux nations
africaines. Fortement influencés par les écrits de Darwin, les
Européens en général croyaient alors que par une sélection
naturelle, le fort domine le faible dans la lutte pour l’existence et
la survie. Les nombreux partisans de la suprématie de la « race
» blanche trouvaient dans les explications de Darwin la caution scientifique
pour justifier l’exploitation et la violence qui s’abattirent
sur l’Afrique durant la conquête. Considérant que la force
prime sur le droit et que les peuples d’Afrique sont « moins évolués
» qu’eux, les Européens de l’époque pensaient
que le partage du continent africain relevait d’un processus naturel
et inévitable.
Théorie diplomatique
À une époque où le nationalisme était en vogue
et que la concurrence entre les grandes puissances de ce monde était
particulièrement vigoureuse, l’impérialisme devenait une
façon de s’assurer un certain prestige national. L’agrandissement
des empires européens était un phénomène nationaliste.
Dans un tel contexte, le partage de l’Afrique répondait à
un besoin de paix et de stabilité au sein de l’Europe. Il s’agissait
de maintenir l’équilibre des forces en compensant la perte d’un
territoire ici par l’annexion d’un autre là. Les poussées
expansionnistes de certains États propulsèrent l’Europe
dans l’instauration d’un contrôle formel en Afrique par
les États qui favorisaient jusque-là une influence discrète
sur les nations africaines. On s’appropriait un territoire de peur qu’un
État concurrent le fasse à notre place. Lorsque des conflits
d’intérêts en Afrique menacèrent la paix en Europe,
les puissances décidèrent de dépecer le continent africain
pour sauvegarder l’équilibre diplomatique européen. Au
niveau des théories diplomatiques, d’autres observateurs avancent
que l’Afrique aurait été occupée par les Européens
parce qu’elle menaçait de desservir les intérêts
de ceux-ci ailleurs dans le monde. Les bouleversements de l’époque
en Afrique (la pénétration d’explorateurs de nations concurrentes
dans l’intérieur du territoire ou l’organisation de mouvements
nationalistes africains) menaçaient les intérêts stratégiques
globaux de certaines nations européennes. L’axe Afrique-Inde
pour la Grande-Bretagne représente un bon exemple de l’importance
de la position géographique du continent africain dans la politique
globale de l’empire britannique à cette époque.
Conclusion
Les théories pour expliquer le partage de l’Afrique à
cette époque sont nombreuses, complémentaires et parfois contradictoires.
Il s’agit d’un phénomène complexe qui fit couler
beaucoup d’encre au cours des années. Pour ceux qui s’intéressent
à ce débat important, la consultation de la volumineuse bibliographie
à ce sujet est conseillée. La question du partage de l’Afrique
ne saurait être traitée en profondeur en quelques lignes, ni
même en quelques pages. L’objectif de ce texte est de donner un
bref aperçu du contexte dans lequel la conquête de l’Afrique
se réalisa à la fin du XIXe siècle et au début
du XXe siècle.
Entre le XVe et le milieu du XIXe siècle, la présence européenne
sur le continent africain fut plutôt marginale. L’établissement
de la traite d’esclaves en un véritable système organisé
par les Européens favorisa l’émergence de comptoirs commerciaux
sur les côtes du continent africain. L’internationalisation des
échanges à travers le commerce triangulaire entre l’Europe,
l’Afrique et l’Amérique favorisa l’émergence
de profondes mutations sur ces trois continents. Avec l’abolition de
l’esclavage, l’Europe se désintéressa pour un temps
de l’Afrique et de la colonisation. L’Afrique était alors
aux yeux des Européens un continent inconnu où allaient se perdre
des explorateurs, des missionnaires et des commerçants à la
recherche de nouvelles façons de faire fortune. Quand l’activité
de ceux-ci à l’intérieur du continent a soulevé
des litiges concernant les limites des territoires en Afrique, les États
se sont à nouveau intéressés au continent africain. Une
course entre États impérialistes s’est alors enclenchée
pour l’appropriation du plus grand territoire possible en Afrique. Voyant
les conflits se multiplier, les États d’Europe organisèrent
une rencontre pour établir des règles et des codes dans cette
entreprise de colonisation de l’Afrique. Il s’agit de la Conférence
de Berlin qui se tint en 1884-1885. Les résolutions adoptées
à Berlin ne firent qu’accélérer le processus de
conquête du territoire africain et de la répression des populations
locales par les autorités coloniales. La prochaine partie de ce voyage
vous permettra d’approfondir cette période où les États
impérialistes d’Europe annexèrent presque entièrement
l’Afrique. Ils y établirent des empires coloniaux et formèrent
les bases d’un système d’exploitation qui leur permit de
piller littéralement les richesses de l’Afrique, et ce, durant
plusieurs décennies.
L’annexion de l’Afrique sur le papier fut suivie par la conquête militaire et l’occupation, conformément à la notion d’occupation effective adoptée à la conférence de Berlin. À la fin du XIXe siècle, les campagnes militaires se multiplient en Afrique de façon spectaculaire et sanglante. Ainsi, en 1914, seuls le Libéria et l’Éthiopie étaient encore des pays indépendants.
Les puissances européennes ont pu conquérir l’Afrique avec une telle rapidité parce que, sous plusieurs aspects, la balance penchait en leur faveur. D’une part, grâce aux activités des missionnaires et des explorateurs, les Européens en connaissent plus sur le territoire et les royaumes d’Afrique que les Africains n’en connaissent sur l’Europe.
D’autre part, grâce aux découvertes dans le domaine médical, les Européens redoutent beaucoup moins les maladies communes en sol africain qui leur étaient fatales il y a moins d’un demi-siècle.
De plus, la nature inégale du commerce entre l’Europe et l’Afrique, et le rythme croissant de la révolution industrielle permettent aux puissances européennes de compter sur des ressources matérielles et financières largement plus importantes que celles des royaumes africains.
Tandis que l’Europe peut se concentrer militairement de manière exclusive sur ses activités impériales outre-mer, les pays d’Afrique voient leurs forces paralysées par des luttes internes incessantes.
Finalement, l’écrasante supériorité militaire de l’Europe est le facteur le plus décisif. Les puissances européennes disposent de forces armées professionnelles, permanentes et ont parfois même accès à des mercenaires qui leur assurent la supériorité numérique qu’elles souhaitent. La plupart des armées africaines sont seulement équipées d’arcs, de flèches, de lances et de fusils démodés. En aucun cas, celles-ci ne peuvent rivaliser avec l’artillerie lourde et les forces navales européennes. De leur côté, les armées européennes disposent d’armes ultra-modernes comme les carabines à répétition et même, au cours des dernières campagnes, de véhicules motorisés et d’avions de guerre.
En considérant les avantages économiques, politiques, militaires et technologiques des puissances européennes sur les États africains, il est évident que la lutte est inégale. En 1902, la conquête sanglante de l’Afrique est pratiquement achevée. L’occupation et l’installation d’une administration coloniale seront des entreprises plus délicates. Les administrateurs coloniaux, qui s’efforcent de créer des États dans un continent sous-peuplé, mais turbulent, doivent affronter des problèmes importants.
Limités par une infériorité technologique, les Africains doivent décider s’il faut combattre ou négocier avec l’envahisseur européen. Les objectifs africains sont les mêmes dans les deux cas; préserver le plus d’indépendance et de pouvoir possible.
Les griefs contre les débuts de la domination coloniale étant très répandus, bien des peuples d’Afrique se lancent souvent dans des révoltes locales aux résultats variables selon l’époque et la région. À l’issue de la conquête, la carte géopolitique de l’Afrique est profondément transformée. L’Europe a divisé le continent en près de quarante unités politiques. Les tracés frontaliers croisent sans discernement les lignes ethniques et linguistiques.
Après avoir réprimé les divers mouvements de résistance, les européens tentent d’établir un contrôle rigoureux sur leurs sphères d’influence. Les puissances coloniales entreprennent alors de transformer l’Afrique à la fois au niveau politique et économique. Le but est d’axer les économies d’Afrique sur l’exportation, en rendant tout le continent dépendant des arrangements économiques conclus en Europe.
Au début, les administrateurs coloniaux trouvent dans les « autorités indigènes » soumises des agents pour transmettre efficacement les exigences de la domination étrangère à l’ensemble de la population. En règle générale, les États fondés avant la Première Guerre mondiale ne sont que des squelettes animés en majeure partie par les forces politiques africaines. Les fonctionnaires ne peuvent se passer d’agents africains comme employés ou interprètes.
Chaque colonie devant développer une production spécialisée à l’intention du marché mondial, l’Afrique acquit alors une structure économique largement dépendante de ces marchés extérieurs. Bientôt, l’introduction de l’impôt par les Européens contraint les Africains à fournir des marchandises ou des mains-d’œuvre au service de l’économie coloniale. La collecte des impôts s’accompagne de beaucoup de brutalité et provoque de fortes résistances.
L’abus le plus répandu au début de la colonisation est le travail forcé par l’administration coloniale. Ce dernier demeure très commun jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La tâche de recruter de la main-d’œuvre est souvent parmi les plus déplaisantes des premiers fonctionnaires coloniaux qui sont majoritairement des militaires enclins à la brutalité et à la répression. Maintenir un ordre précaire, au besoin par l’usage prompt de la violence, est la première préoccupation des administrateurs européens minoritaires dans la société coloniale d’Afrique.
À la fin du XIXe siècle, l’Afrique est intégrée de force dans le cercle de l’économie-monde européenne.
L’économie de traite, qui se substitue à la traite des esclaves, a pour caractéristique la mise au travail sur place de la main-d’œuvre africaine, dans le cadre des villages et des plantations. Les produits manufacturés européens sont maintenant échangés contre les produits tropicaux comme le cacao, l’huile de palme, l’arachide ou le caoutchouc.
Ces produits africains font l’objet d’une demande croissante en Europe et l’organisation de la production en sol africain se fait en fonction des besoins de consommation des métropoles.
L’occupation militaire de l’Afrique permet aux États européens de contrôler les systèmes politique, éducatif et surtout économique des colonies africaines. Ce contrôle de secteurs clés dans la structure coloniale permet aux Européens d’imposer une idéologie à caractère raciste qui justifie l’ordre inégal et injuste qui caractérise le système des échanges entre les deux continents.
L’accélération des gains de productivité en Europe provoquée par la révolution industrielle donne lieu à une concentration de la richesse entre les mains de grands groupes industriels et financiers.
L’insuffisance des débouchés intérieurs provoquée par cette centralisation des revenus et des profits suscite alors une course aux débouchés extérieurs. L’expansion coloniale en Afrique comme ailleurs passe alors pour une conséquence de cette recherche de nouveaux marchés.
Cette intégration de force du continent africain à l’économie internationale et la domination européenne sur plusieurs sphères de la structure coloniale laisseront un héritage lourd de conséquences pour les populations africaines.
L’État indépendant du Congo est né en 1885, à
la suite des négociations de la conférence de Berlin. Cette
zone territoriale devait conserver son caractère commercial et neutre,
ce qui arrangeait les puissances européennes qui s’arrachaient
alors le continent africain. Le roi Léopold II en assuma le titre de
souverain, car grâce aux réalisations discrètes de ses
agents, son influence sur ce territoire s’était relativement
étendue. Sa réputation de philanthrope et sa promesse de faire
du Congo un territoire de libre-échange favorisèrent la reconnaissance
de son autorité par les autres États européens ayant
des intérêts en Afrique. Dans les années 1890, des militaires
furent envoyés au Congo à titre d’agents territoriaux
responsables de l’exploitation du pays. L’ivoire et le caoutchouc
furent les deux principales richesses exportées. Très rapidement,
un brutal système d’exploitation fut mis en place par Léopold
II. Razzias, pillages, saisie de prisonniers, utilisation d’autochtones
comme force de travail, violences, massacres et expéditions punitives
furent l’apanage du système colonial sur le territoire de l’État
indépendant du Congo. Le « mouvement civilisateur » mis
en place par le roi des belges fut désastreux pour la population du
Congo. Les famines, l’épuisement, les mauvais traitements, les
conditions d’incarcération, les guerres et les maladies entraîneront
une forte augmentation de la mortalité. Au début du XXe siècle,
les pratiques coloniales en Afrique Centrale défrayèrent la
chronique occidentale en raison des nombreux crimes commis à l’encontre
des populations locales. En 1908, sous l’effet de pressions internationales,
la Belgique activa la reprise du territoire des mains du monarque. Ce roi
« philanthrope » se retrouva au centre d’un des plus grands
scandales de l’histoire coloniale moderne. La communauté internationale
fut à ce point indignée par les méthodes employées
dans l’État indépendant que Léopold fût contraint
de renoncer à son régime personnel au Congo. Il incarnera dorénavant
l’impérialisme et l’exploitation dans sa forme la plus
pure et la plus brutale.
L’ancienne élite politique et religieuse africaine se trouve
désormais coiffée par une nouvelle classe de bureaucrates et
d’hommes d’affaires européens. Dans chaque colonie, les
Européens ont le monopole du pouvoir politique, économique et
éducatif. Cette structure de relations sociales s’appuie sur
une théorie raciale qui cherche à répartir les différentes
branches de l’humanité en ordre hiérarchique de civilisation.
Au cœur de cette idéologie existe la croyance que les Africains
occupent le bas de l’échelle et que les Européens en monopolisent
le haut. En pratique, le poids de cette théorie raciste conduit à
une politique niant à l’Africain l’égalité
des droits avec les Blancs dans l’administration coloniale. On trouve
non seulement des quartiers réservés aux colons européens,
mais aussi des hôpitaux européens ou des clubs européens
distincts des institutions correspondantes créées pour les Africains.
Une des conséquences que cette théorie contribue à introduire
chez les Africains est le sentiment d’infériorité et l’état
d’esprit qui favorise l’imitation des coutumes européennes.
La colonisation est d’abord et avant tout idéologique. Heureusement,
certains Africains furent en mesure de remettre en cause toute la façade
sociale et idéologique du colonialisme en utilisant des faits historiques.
Ils ouvrirent ainsi la voie à la pensée nationaliste.
L’objectif principal de l’administration coloniale est le développement des richesses au profit de la métropole, le bon fonctionnement de la colonie et le maintien de l’ordre public. Dans les faits, en matière économique, l’exploitation l’a toujours emporté sur le développement. Si la période coloniale a été une période de croissance sans précédent pour l’Afrique, les populations locales n’en n’ont presque jamais bénéficié. Le mécontentement des Africains ne tarde donc pas à se manifester. En dépit des discours réformateurs des puissances coloniales, les métropoles ne songent aucunement à revoir le système en place tout au long de la période de l’entre-deux-guerres. Pourtant, quinze ans après la Seconde guerre mondiale, l’Afrique retrouve dans sa grande majorité son indépendance politique. En marge de la société coloniale apparaissent progressivement des mouvements de population au sein desquels s’élaborent des stratégies de résistance et de revendication face à l’administration en place. Le colonialisme impose un système étranger de valeurs et de normes qui incarnent l’inégalité fondée sur la discrimination raciale. Celui-ci s’appuie sur une forme de racisme et, par-dessus tout, sur la négation de la culture des colonisés. Ce système était donc destiné à engendrer mécontentement et protestation
Avec la fin de la Première Guerre mondiale, les membres des nouvelles élites éduquées à l’européenne espèrent pouvoir être absorbées et acceptées comme partenaires par les colonisateurs. Toutefois, leurs espoirs furent trompés. Les Africains, même instruits, obtiennent toujours des emplois inférieurs à ceux du personnel européen de formation et d’expérience comparable. Ils se trouvent à servir les mêmes administrations coloniales, mais les Africains sont confinés au second plan. Cela devient rapidement une source d’amertume et d’agitation contre les régimes coloniaux.
Tout comme les élites instruites, les chefs traditionnels sont dans des positions ambiguës. Les régimes coloniaux se servent des institutions et des élites traditionnelles pour contrôler plus facilement les populations locales. La plupart des chefs traditionnels doivent leur position et leur prestige au soutien des administrations coloniales. Toutefois, les colonisateurs les considèrent comme des instruments et non comme leurs véritables partenaires. La perte de leur pouvoir réel est pour beaucoup d’entre eux une cause de mécontentement. Bien que la plupart du temps, les administrateurs coloniaux s’efforcent d’opposer les intérêts de l’élite traditionnelle à l’élite instruite, un fait demeure ; aucune des deux n’est satisfaite des régimes coloniaux. La plupart du temps, les mouvements nationalistes accusent les élites traditionnelles de complicité avec les régimes coloniaux. Toutefois, il arrive que ces deux groupes collaborent malgré certaines tensions. C’est notamment le cas en Gold Coast (Ghana), au Nigéria, au Maroc et au Kenya.
Le nationalisme africain n’est pas seulement un phénomène d’élite, ni même un phénomène purement urbain. Le mécontentement et la montée du sentiment anticolonialiste sont aussi présents dans les zones rurales. Face à l’imposition de nouvelles mesures économiques, à un nouveau système judiciaire et surtout face aux conséquences de la dépression économique des années 30, une grande vague de mécontentement est observée non seulement en zone urbaine, mais aussi en zone rurale.
Les lacunes liées au système d’éducation engendrent la colère et la frustration. Comme les puissances européennes tiennent à ce que les dépenses de l’administration et des services coloniaux soient couvertes par les colonies elles-mêmes, elles font peu d’effort pour diffuser l’éducation. Dans plusieurs régions de l’Afrique britannique et de l’Afrique française, l’éducation secondaire est pratiquement inaccessible avant la Seconde Guerre mondiale. Les régimes coloniaux tentent généralement de limiter la qualité et la portée de l’éducation parce qu’on voit en elle une menace à l’ordre établi. La préférence va aux écoles rurales et professionnelles, aux établissements postsecondaires destinés à former des techniciens plutôt aux institutions d’études universitaires. Cet effort pour réglementer l’évolution sociale dans les colonies africaines est une autre source de griefs qui alimentent la montée des mouvements nationalistes.
La situation coloniale interne n’est pas la seule responsable de la montée du nationalisme. Certains développements de la situation internationale influencent les mouvements anticolonialistes à travers le monde. La Société des Nations (organisme prédécesseur de l’ONU) prit position en faveur du développement des populations colonisées dans les territoires sous mandat. L’introduction de la notion de responsabilité des territoires sous mandat devant la communauté internationale est un stimulant important pour certains nationalistes.
Les révoltes et les rébellions deviennent de plus en plus rares après la Deuxième Guerre mondiale. Les armes anticolonialistes se sont transformées et les nationalistes entreprennent d’utiliser les journaux, les livres, les tracts, les pétitions, les grèves et le boycott pour arriver à leurs fins. La presse a considérablement contribué à diffuser les opinions des organisations politiques et sociales nationalistes. Presque toujours, la presse fut alors soumise à un étroit contrôle par voie de censure et de législation. Ces mesures tendent à faciliter le fonctionnement des administrations coloniales qui se caractérisent par une plus grande intolérance des droits et libertés des Africains.
C’est dans ce contexte de relation conflictuelle entre le colonialisme et le nationalisme africain que la lutte pour le renversement du système colonial fut mise en place. Les partis politiques, les organisations de jeunesse, les organisations à base ethnique, les groupements sociaux, les associations pour les droits de l’Homme, les syndicats et autres mouvements ouvriers, les mouvements traditionalistes et les regroupements socio-religieux inspirés par les idéologies autochtones, chrétiennes ou encore musulmanes jouent des rôles importants dans la lutte contre le système colonial.
La volonté de libération des populations africaines est fortement appuyée par une croissance démographique importante qui se fait sentir à partir des années 1950. La principale raison de ce phénomène est la chute du taux de mortalité. La découverte et l’emploi de nouveaux médicaments contre la tuberculose, le paludisme et la pneumonie jouent un rôle important dans ce phénomène. Les luttes pour l’indépendance sont fort différentes selon les zones géographiques, les protagonistes concernés et les périodes au cours desquelles elles se sont produites. On ne peut pas parler d’une décolonisation de l’Afrique, mais plutôt de plusieurs décolonisations. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique est encore presque entièrement colonisée, mais le contexte de l’époque accélère le mouvement de décolonisation qui était déjà présent bien avant la guerre. Les déclarations d’indépendance sont relativement rapides s’étendant de 1960 à 1975.
À travers le processus de décolonisation de l’Afrique, trois évolutions distinctes peuvent être mises en parallèle. Dans les colonies de la France et de la Grande-Bretagne, l’administration cherche à remodeler la structure coloniale en adoptant quelques réformes politiques, économiques et sociales pour finalement céder sa place. Dans les colonies du Portugal et de la Belgique, l’administration reste totalement fermée à toute réforme malgré la montée du mécontentement des populations. Dans certaines régions comme l’Union sud-africaine, en Rhodésie ou encore la Namibie, la minorité blanche profite de la situation pour s’imposer et s’accaparer le pouvoir.
Comme les puissances coloniales doivent s’acquitter à la fois des coûts de la répression du nationalisme et des coûts reliés à la modernisation des colonies, coûts qui grimpaient considérablement avec la croissance démographique, la nécessité de conserver les colonies devient douteuse. Au début des années 50, alors que l’Europe a retrouvé sa santé économique, il devient peu judicieux de s’opposer davantage au nationalisme et progressivement, les administrations coloniales se retirent du continent africain. Il est beaucoup plus simple de léguer les problèmes croissants de l’Afrique à des successeurs africains. Seuls les Portugais et les colons blancs d’Afrique du Sud choisissent de maintenir leur pouvoir politique essentiel à leur survie.
Il est important de spécifier que même si la décolonisation est habituellement perçue comme ayant été réalisée sans trop d’affrontements, il existe néanmoins des endroits où la violence fut très présente. La brutalité de la décolonisation du Congo belge (aujourd’hui la République démocratique du Congo) ou les massacres de Madagascar en sont de malheureux exemples. Derrière lui, le colonialisme laisse des frontières et des structures. Ces frontières ne tiennent compte ni des réalités culturelles, ni des antagonismes et encore moins de la volonté des populations. Une telle division du territoire, doublée d’une pratique coloniale privilégiant certaines classes ou ethnies, va engendrer des drames importants et des guerres civiles meurtrières plusieurs années après la décolonisation.
La plupart des colonies qui avaient été constituées en Afrique, sont faites de groupes nationaux culturellement et historiquement différents, sans passé commun, et dont l’unité tient au fait qu’elles sont assujetties à un État étranger. L’expression du nationalisme africain se traduit par le désir chez ces différentes communautés de soutenir une lutte contre les atrocités et les lacunes des administrations coloniales. Les unités territoriales des administrations coloniales commencent à être considérées comme des formes primaires d’États au sein desquels on cherche à susciter un sentiment d’appartenance commun. Il s’agit là d’un défi de taille pour les mouvements nationalistes africains. Avec les déclarations d’indépendance, sont nés plus de quarante États africains dorénavant délestés de la domination coloniale, mais cette indépendance n’ouvre pas pour autant la porte à la justice et à la liberté.
Au milieu des années 1930, le colonialisme semble solidement établi en Afrique. Cependant, il se révélera éphémère. Près de 45 ans plus tard, plus de 90 % du territoire africain échappe à l’emprise du colonialisme. Même s’il est impossible de dater précisément le début de l’influence européenne en Afrique, on peut cependant affirmer que la domination coloniale aura duré presque 100 ans, des années 1880 à 1960.
À la lumière des informations que nous avons présentées au cours de cette trousse, il est pertinent de se poser une question essentielle concernant le colonialisme en Afrique. Quel héritage ce dernier a-t-il légué à l’Afrique ? L’impact du colonialisme en Afrique est un sujet qui soulève une forte controverse. Pour de nombreux historiens, cet impact fut à la fois bénéfique et négatif.
Certes, des mesures humiliantes d’oppression, de discrimination et d’exploitation ont été introduites en Afrique par les autorités coloniales. Sans tenter de dissimuler ce fait indéniable, il faut néanmoins chercher à identifier les dimensions plus « positives » qui résultèrent de la colonisation.
Il faut cependant garder à l’esprit que, de façon générale, les années du colonialisme isolent complètement le continent alors que d’autres pays traversent une période d’évolution décisive. Elles ont vu, par exemple, l’Europe entrer dans l’ère de l’automobile et de l’aviation alors que le continent africain est maintenu dans la subordination. Les impacts aux niveaux : politique, économique et social, sont très importants. De nombreux problèmes de développement actuels auxquels l’Afrique est confrontée proviennent en fait du legs de l’époque coloniale.
Politique
Le colonialisme a profondément marqué le développement
politique de l’Afrique, et ce, bien après que la population africaine
ait retrouvé son indépendance. Si l’administration coloniale
a engendré par ses injustices la naissance d’un nouveau type
de nationalisme africain, il faut comprendre qu’il s’agit d’une
conséquence « accidentelle » de la colonisation qui n’était
pas prévue au départ. Le nationalisme africain est en quelque
sorte le résultat d’un sentiment de colère, de frustration
et d’humiliation introduit par les autorités coloniales. Avec
le renversement du colonialisme, les nouveaux dirigeants des États
africains indépendants doivent faire face à un problème
de taille : transformer ce nationalisme né de l’exploitation
en sentiment positif et durable d’identité nationale au sein
des populations des nouveaux États. Le défi se révélera
capital dans un continent où, il existait encore il y a moins de deux
siècles, des centaines de clans, de royaumes et d’empires sans
frontières nettement délimitées.
Le colonialisme a établi en Afrique des frontières plus ou moins artificielles lors de la partition. Certaines de ces frontières ont divisé des groupes ethniques et des royaumes antérieurs. Plusieurs peuples sont aujourd’hui répartis dans différents États à cause des frontières tracées par les Européens. Cette situation a causé non seulement des perturbations sociales un peu partout, mais aussi des querelles frontalières entre certains États africains indépendants. De plus, étant donné la nature arbitraire de ces frontières, chaque État est constitué d’un mélange de peuples dont la culture, les traditions et la langue sont différentes. Les problèmes posés par un tel mélange pour l’édification d’une nation ne sont pas facilement solubles et se sont même transformés en guerres civiles dans certaines régions.
Les divisions artificielles héritées de l’ère coloniale ont créé des territoires aux ressources naturelles et aux possibilités économiques inégales. Certains États ont de très larges façades maritimes alors que d’autres n’ont pas d’accès direct à la mer. Certains États sont très riches en ressources naturelles alors que d’autres sont plus modestement pourvus. Enfin, certains pays n’ont qu’une seule frontière à surveiller alors que d’autres en ont jusqu’à dix créant ainsi de graves problèmes de sécurité et de contrôle de la contrebande. L’héritage territorial issu de l’époque de la domination coloniale a déterminé de façon importante le visage de l’Afrique indépendante même si l’influence politique des pays d’Europe s’est affaiblie.
De plus, lors de l’établissement de la domination coloniale, les administrateurs ont utilisé les chefs traditionnels et les gouvernements locaux pour mettre en oeuvre certaines mesures odieuses comme le travail forcé. Cela a jeté le discrédit sur l’autorité traditionnelle en général, surtout pendant la période précédant la Première guerre mondiale. Le système colonial a amoindri l’autorité et le prestige des systèmes et des chefs traditionnels de gouvernement. En créant ainsi un fossé entre la population et la classe dirigeante traditionnelle, le système colonial déterminait les relations futures de ces deux composantes de la société africaine.
Une conséquence souvent ignorée du colonialisme fut la mise en place de forces armées permanentes en Afrique. Cette pratique militaire était totalement inconnue en Afrique jusqu’à la colonisation. Les membres d’une communauté étaient soldats en temps de guerre et civils en temps de paix. Ces armées permanentes furent créées dans les années 1880 et 1890 pour soutenir la conquête et l’occupation de l’Afrique. Elles servirent par la suite à maintenir la domination coloniale. Après le renversement du régime colonial, ces armées permanentes furent récupérées par les nouveaux chefs des États indépendants. Par leurs interventions répétées dans la politique des pays africains, elles ont posé un véritable problème au cours de l’histoire moderne du continent.
Économique
La période coloniale a été une période d’exploitation
économique impitoyable plutôt que de développement pour
l’Afrique. L’introduction de la monnaie en Afrique conduisit à
l’accroissement du volume commercial entre cette dernière et
l’Europe. L’économie africaine fut largement intégrée
à celle de l’Europe capitaliste. Ces relations de dépendance
économique sont si enracinées que l’indépendance
politique elle-même ne les a pas fondamentalement modifiées.
De nombreux problèmes de développement actuels auxquels l’Afrique
est confrontée proviennent en partie de l’héritage colonial.
L’infrastructure mise en place par les administrations coloniales n’était pas vraiment adaptée aux besoins des Africains. Il ne s’agissait pas d’ouvrir les pays ni de faciliter les contacts entre les colonies, ni même de promouvoir le développement économique global de l’Afrique. La plupart des routes et des voies ferrées ne furent construites que pour relier les zones possédant des gisements miniers ou des possibilités de production avec l’océan. Cette infrastructure ne visait qu’à faciliter le transport des produits africains vers la côte et la pénétration des marchandises européennes à partir des ports. Le cloisonnement des différents territoires demeure une réalité qui se transforma en un véritable obstacle à l’ouverture du marché africain aux industries africaines à la suite des indépendances.
La croissance économique des colonies fut fondée exclusivement sur les ressources naturelles. L’industrialisation fut grandement négligée et découragée par les autorités coloniales. Des produits aussi simples que des allumettes, des bougies, de l’huile ou même du jus d’orange qui auraient tous pu être fabriqués facilement en Afrique étaient importés des métropoles. Les États africains étaient des marchés de consommation de produits manufacturés et des lieux d’approvisionnement en matières premières. Les activités artisanales et les « industries » qui produisaient tout ce dont les Africains avaient besoin avant la colonisation furent pratiquement éliminées par l’importation de produits venus d’Europe. Le développement technologique africain fut ainsi arrêté par les monopoles des compagnies européennes. Celui-ci ne put reprendre qu’après l’indépendance.
Aucune tentative ne fut entreprise pour diversifier l’économie rurale des colonies. La production d’une ou de deux cultures d’exportation était la règle d’or de l’ère coloniale. La concentration sur la production de cultures d’exportation obligea les Africains à abandonner la production de nourriture destinée à leur propre consommation. La commercialisation des terres en Afrique conduisit à une appropriation à grande échelle de la terre par les Européens. Les aliments durent alors être importés, et les peuples furent contraints de les acheter à prix élevés. Dans le système colonial, les Africains sont voués à produire ce qu’ils ne consomment pas et à consommer ce qu’ils ne produisent pas. Ce système exploiteur hérité de l’économie coloniale au sein de laquelle les échanges commerciaux sont profondément injustes, s’est perpétué bien au-delà des indépendances politiques.
Les compagnies commerciales des Européens contrôlaient les prix des denrées importées et exportées par les Africains. Les bénéfices énormes provenant de ces activités étaient amassés par les propriétaires et les actionnaires au détriment des Africains. Au cours de la période coloniale, les Africains ont progressivement été éliminés des secteurs les plus importants de l’économie. Le colonialisme mit pratiquement un terme au commerce entre les États africains. Avec la mise en place des administrations coloniales, le commerce interafricain fut découragé et même interdit pour garantir le monopole aux compagnies venues d’Europe. Tous les progrès économiques réalisés durant la période coloniale le furent à un prix injustifiable pour les Africains : travail forcé, culture obligatoire de certaines plantes, saisie des terres patrimoniales, déplacements de population, taux de mortalité élevé dans les mines et les plantations. On peut conclure sans risque que le système colonial a permis aux pays d’Europe de s’accaparer une large part des richesses de l’Afrique.
Après avoir atteint l’indépendance politique, l’industrialisation devint la priorité des dirigeants africains. Le retard à l’industrialisation, accumulé durant les longues années de l’ère coloniale, fut alors comblé. Les opportunités de créer des industries rentables ont été saisies et parfois même des industries peu ou pas rentables. Les projets industriels ont été largement encouragés et parfois même lancés par les gouvernements africains.
Les besoins des populations africaines étaient immenses et l’on anticipait une grande demande provenant du marché intérieur. Les pays industrialisés ont encouragé cet effort d’industrialisation en offrant, sous forme de prêts, les sommes nécessaires aux investissements. Les banques des anciens pays colonisateurs et des autres pays riches ont accordé les crédits nécessaires pour financer l’industrialisation de l’Afrique. On croyait alors que l’industrialisation allait engendrer une forte croissance en Afrique.
L’objectif était de briser le lien de dépendance avec les anciennes métropoles en fabriquant sur place les produits manufacturés et ainsi réduire les importations coûteuses. Les produits fabriqués dans les usines africaines étaient destinés à être consommés par des Africains. Malheureusement, le marché africain ne fut pas en mesure d’absorber cette production. Il est vrai qu’en théorie l’Afrique se compose de plusieurs millions de consommateurs, mais en réalité la circulation des marchandises entre les États s’avère particulièrement difficile. L’ère coloniale a laissé des frontières artificielles et des infrastructures peu adaptées au commerce sur le continent.
De plus, la faiblesse des revenus d’une forte portion de la population africaine fut un obstacle important à l’industrialisation. Les Africains des milieux ruraux et ceux des milieux urbains qui ne disposaient que de revenus modestes n’étaient pas en mesure d’acheter les produits manufacturés du nouveau secteur industriel africain. Quant aux élites disposant de revenus confortables, elles ont largement adopté les modèles de consommation occidentale. Leur demande en produits industriels africains demeure finalement assez faible.
Faute de marchés intérieurs suffisants, la croissance tant attendue en Afrique ne se présentera pas. Pendant les années 1970, la tendance à l’industrialisation s’inverse. La production de marchandises ralentit et le secteur est en déroute. L’industrie africaine fortement soutenue par les États se retrouve dans une situation critique. Plusieurs usines tournent au ralenti ou sont complètement arrêtées. Les dettes s’accumulent rapidement et les intérêts se multiplient.
Le contexte défavorable des années 1980 a permis la réduction des protections des économies africaines, la privatisation dans plusieurs secteurs jadis occupés par l’État, la libéralisation et la mise en place de plans d’ajustements structurels imposant des pressions considérables sur la qualité de vie de la population.
Aujourd’hui, l’Afrique se voit forcée par les grandes organisations internationales d’allouer une portion énorme de ses revenus au paiement de la dette extérieure qu’elle traîne depuis les années 60. Les intérêts faramineux sur la dette ne cessent de gonfler tel un abcès dont les États africains n’arrivent pas à se débarrasser. Les grands États de ce monde à qui l’Afrique doit tout cet argent se montrent intransigeants et peu concernés par les effets désastreux des sacrifices demandés aux populations africaines au nom du service de la dette.
Social
Le colonialisme a eu un impact majeur sur l’histoire du continent africain.
Au plan social entre autres, l’héritage du colonialisme a profondément
influencé le développement des peuples de l’Afrique. L’ère
coloniale s’accompagna d’une importante période d’urbanisation
en Afrique. Des villes entièrement nouvelles surgirent et la population
des villes déjà existantes augmenta de façon importante.
Ces villes grandirent si rapidement pendant la période de 1920 à
1950 pour la simple raison qu’elles étaient soit les capitales
des régimes coloniaux, soit de nouveaux ports ou centres ferroviaires.
La coupure grandissante entre les centres urbains et les zones rurales n’était
pas la conséquence d’un accroissement naturel de la population.
C’était plutôt le résultat de la poussée
continuelle des gens attirés en ville pour échapper à
la pauvreté, aux famines ou aux impôts. Les gens ne trouvaient
pas dans les centres urbains le riche paradis qu’ils espéraient.
La plupart s’entassaient dans les bidonvilles où le chômage,
la délinquance, l’alcoolisme et le crime devenaient souvent leur
lot quotidien. Il est à noter que ce fossé entre villes et campagnes
n’a toujours pas été comblé aujourd’hui.
La diffusion de l’éducation occidentale fut aussi une conséquence du colonialisme. L’éducation était étroitement liée au christianisme. Les missions chrétiennes ont été en grande partie responsables de ce processus. Celles-ci agissaient grâce au soutien des administrations coloniales en place. La diffusion de l’éducation à l’européenne eut des effets sociaux d’une grande portée, dont l’accroissement du nombre des membres de l’élite africaine éduquée. Cette élite constitue aujourd’hui la classe dirigeante et l’essentiel de l’administration des États africains. D’un autre côté, si les Européens ont introduit des services sociaux tels que l’éducation en Afrique, il faut souligner que ces services étaient globalement inadaptés et distribués inégalement dans chaque colonie. Ces services étaient d’ailleurs destinés en premier lieu à la minorité des immigrants et administrateurs blancs. En éducation par exemple, ce qui fut fourni pendant l’époque coloniale s’est révélé inadéquat, inégalement distribué et mal orienté. Les programmes dispensés dans les institutions africaines s’inspiraient étroitement de ceux des métropoles et n’étaient pas adaptés aux besoins des Africains. L’impact de ce système éducatif colonial sur les sociétés africaines a été profond. Il a légué à l’Afrique un énorme problème d’analphabétisme et ce ne fut qu’après la Seconde guerre mondiale que des écoles techniques et des collèges universitaires furent fondés.
NB : Il s’agit des liens effectués sur la mondialisation au 21e siècle tout au long du parcours des quatre volets de la trousse.
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